Photographe inconnu de l’Occupation : l’autre enquête
La série de photos publiées dans Le Monde en aout 2024 et reprise dans le récent livre de Philippe Broussard a été découverte bien avant cela.
En janvier 2018, Albert HUDE, un historien et auteur, spécialiste de la résistance en Eure et Loir, découvre chez un retraité de Lèves un lot de 117 photos de 1940 et 1941 prises clandestinement dans Paris par un photographe inconnu.
Le chercheur saisit immédiatement la valeur historique de ces documents et va mener son enquête avec l’autorisation du détenteur des photos qui lui sont confiées.
Après avoir vérifié sur site les lieux des prises de vues, que ce parisien connait bien, il recueille auprès du retraité de Lèves quantité d’informations sur la manière dont ces photos se sont retrouvées parmi les objets de sa mère Renée décèdée en 1990.
Il apprend ainsi que Renée Damien, vendeuse au Printemps en lien avec un monsieur Rachinel et une dame Villain, avait un ami qui photographiait les Allemands avec un appareil caché dans un sac percé, qu’il avait été arrêté lors d’une prise de vue secrète d’officiers à l’Hôtel Majestic et que déporté, il n’était jamais revenu.
Selon son fils, c’est elle qui a écrit les commentaires au dos des photos. Elle a quitté Paris au début de l’été 1941 pour la zone non occupée et s’y est remariée avec Jacques Ben David, un juif érudit de Salonique à qui elle avait procuré des faux papiers pour passer la ligne de démarcation.
A partir de ces bribes d’informations, Albert HUDE va enquêter durant deux années, avec des moyens limités, pour tenter de retrouver le photographe, et éventuellement un réseau inconnu, avant de publier aux Editions du Petit Pavé « Paris Humilié » en septembre 2020.
Il découvre sur Internet que FR3 (émission Les Résistances) , présente déjà ce type de photos dans un doc de Charles Riondet intitulé « Photographier sous l’Occupation », collection qui serait l’œuvre d’un policier parisien. En outre, un commandant nommé Daniel Leduc a transmis en 1999 un lot de ces photos au musée de la Résistance Nationale à Champigny. Contactant le musée pour confirmation, il apprend qu’une vive polémique parisienne a éclatée en 2008-2010 lorsque la Mairie a présenté une expo des photos de André Zucca sur Paris occupé en tant que photographe accrédité par les Allemands, et que le lot Leduc avait été présenté en contre expo.
Tous les éléments de l’enquête sont donc réunis lorsque le journaliste Ph. Broussard, après avoir lu Paris Humilié, contacte Albert HUDE le 9 mars 2021 et vient à son domicile le 18 accompagné d’une équipe de tournage. Il souhaite montrer une collection découverte sur une brocante afin de la rapprocher de celle du livre communiquée par le retraité de Lèves.
Il va s’en suivre plus de trois années de travail en commun, attestées par une quarantaine de messages outre les nombreux appels téléphoniques, afin de délivrer au journaliste toutes les directions d’enquête pour retrouver le photographe.
Ainsi les éléments familiaux de Renée Damien et Jacques Ben David, leurs descendants, leurs adresses et parcours sont communiqués en toute confiance. De plus les contacts avec Agathe Demersseman chargée des collections du musée de la résistance à Champigny et ses échanges antérieurs avec l’historien lors d’une réunion le 3 juin 2021, lui permette d’organiser une nouvelle rencontre à trois cette fois pour confronter les collections.
Par ailleurs, la recherche sur Daniel Leduc puis sur son père Paul, agent du BCRA d’Alger en fin 1941 est facilitée par le contact entre le patron de la DGSE, service dépositaire des archives du BCRA, et Albert HUDE lors d’un salon du livre en 2022. La carrière militaire de cet agent passera par Paris au Bureau 407 de la sécurité militaire le 25 aout 1944 où il est probable qu’il a découvert la collection de photos transmises par son fils au MRN en 1999.
Toutes ces données sont communiquées au journaliste pour alimenter son enquête de terrain, complémentaire à celle de l’historien local mais avec des moyens bien supérieurs.
Finalement, la découverte du photographe Raoul Minot est indissolublement liée au magasin Le Printemps, c’est-à-dire à Renée Damien, la mère du retraité de Lèves qui a confié ses photos à Albert HUDE en janvier 2018. Son livre « Paris Humilié », qui reprend le témoignage du retraité constitue donc la base de l’enquête aujourd’hui aboutie.